Samuel Dugelay

Rencontre avec un maçon mobilisé contre l'industrialisation du matériau terre

Samuel Dugelay est ingénieur de formation mais travaille essentiellement en tant que maçon terre crue, notamment au sein de l’entreprise Makjo. Il est également co-fondateur de l’association De la matière à l’ouvrage, avec laquelle il met en place des chantiers école, et ce notamment pour des projets publics. Il intervient dans diverses formations, s'investit dans des projets de recherche, co-anime le Projet National Terre et participe à défendre la construction en terre crue avec plusieurs réseaux de professionnels comme la Confédération de la Construction en Terre Crue et le Collectif Terreux Armoricain. Il a également participé à l’écriture des règles professionnelles de la construction en terre crue. Toutes ces pratiques et engagements sont l’occasion pour Samuel de se battre contre les tentatives d'accaparement par les industriels et pour une reconnaissance des compétences humaines liées aux diverses techniques de construction en terre.

Ariane et Perrine : Avec La Facto, on défend le recours à des techniques constructives conviviales, dont l’humain peut avoir la maîtrise. Cette idée est aussi importante dans ta pratique. Est-ce que tu vois malgré tout des limites à cela ? Selon l’échelle du chantier, quels sont les outils que tu t'autorises à utiliser pour faire avancer le chantier, et quels seraient des outils que tu juges aidants et pas déshumanisants ?
Samuel : Faire avec des outils manuels n’est pas forcément plus lent mais ne donne pas le même résultat. Il ne faut pas le voir d’une manière où, si on fait à la maison, ce sera plus long et moins rentable économiquement. L’idée est justement de trouver ce qui fonctionne le mieux. En fait, quand tu mets des machines sur le chantier, ça ne marche pas, ça n’est pas le même boulot. Par exemple, avec une bétonnière, tu ne peux pas faire des mélanges qui fonctionnent pour faire de la construction en terre, tu vas être obligé de mettre plein d’eau. Si tu construis avec des fibres et que tu veux mécaniser, il faut que tes fibres soient ultra courtes - si elles sont un peu longues, c’est le bazar. Ça n’est donc pas qu’une question de rentabilité. C’est surtout qu’il y a des techniques qui ne marchent pas selon ce qu’on veut faire. Je n’aime pas trop les machines mais je ne suis pas complètement contre non plus. Au sein de De la matière à l’ouvrage ou sur nos chantiers Makjo, j’en utilise peu car les techniques qu’on met en œuvre ont finalement peu d’intérêt à être faites avec des machines.
Un autre exemple : pour faire des bardeaux [planchette de bois qui a la forme et la fonction d’une tuile, utilisée comme matériau de couverture dans certaines régions], tu peux scier le bois ou le fendre à la hache. Si tu fends à la hache, ce ne sont pas du tout les mêmes bardeaux : les fibres du bois ne sont pas coupées, elles prennent donc moins l’eau, tu n’as pas le même produit…
Pour moi, les histoires de rentabilité, ce sont de faux débats. C’est un peu ce qui a conduit à imaginer de la terre coulée et ça ne marche pas [la terre coulée est une technique qui consiste à couler de la terre adjuvantée au ciment, comme on coulerait du béton - il s’avère que cela marche très mal]. La mécanisation tient un peu du fantasme sur des techniques comme la construction en terre. Donc quelque part je ne me mets pas de limite [la matière pose ses limites].

Et sur la préfabrication en usine ? Pour des adobes [briques de terre crue moulées] ou des BTC [brique de terre crue compressée] par exemple, ça te paraît aussi absurde d’avoir recours à la préfabrication ?
La préfabrication, c’est souvent complètement aberrant d’un point de vue environnemental. Plus tu éloignes la zone de production de la zone de construction, plus ça te coûte cher environnementalement parlant. Je trouve que ça perd son sens de ne pas utiliser la terre d’un site. C’est comme reformuler une terre [reformer une terre en mélangeant plusieurs terres], ça n’a pas de sens, le bilan environnemental est catastrophique - même s’il y a peut-être des chantiers où ça s’y prête, parce que la terre n’est pas adaptée ou autre… Je suis assez intransigeant, mes limites c’est qu’une terre ne se construit pas. Des terres il y en a plein, c’est souvent un déchet sur les chantiers, donc le plus sensé c’est simplement de la prendre et d’en faire quelque chose.
La BTC, c’est un autre problème. C’est difficile de trouver de la terre qui s’y prête bien, donc tu vas être obligé de travailler la terre, de la tamiser notamment. Préfabriquer des adobes, ça peut avoir un peu de sens [car beaucoup de terres s’y prêtent].
Si tu veux utiliser une ressource locale comme la terre et construire avec, la mécanisation n’est pas simple. Ça n’est pas que ça va être moins rentable, c’est que ça va moins bien marcher, voire ne pas marcher du tout.

Après, entre choisir un pisoir pneumatique et un pisoir à main [pour tasser la terre dans les banches pour la technique du pisé], je conseillerais de prendre le pisoir pneumatique si tu as un gros chantier. En termes de rendu, ça ne change rien, c’est une mécanisation du geste.
Quant à la projection, du chaux-chanvre projeté ou de la terre pour des enduits, par exemple, tu es obligé.e d’avoir une terre qui est relativement toujours la même, tu ne pourras pas faire avec de la terre-déchet de chantier, il y en a une qui serait trop collante, une autre qui aurait trop de cailloux… Les fibres, c’est pareil, dès que tu prends une fibre un peu longue, parce que c’est une fibre présente localement par exemple, ça ne marche plus. Donc tu es obligé.e de prendre de la chènevotte [intérieur de la tige de chanvre], et les gens se mettent à faire de la chènevotte de culture pour la construction. C’est comme ça que tu rentres dans un processus de production de matériaux de construction sur des parcelles dédiées, avec du tri après, pour permettre la mécanisation. Là, effectivement, ça perd tout son sens de mécaniser.
Moi je travaille avec les ressources d’un site, je fais avec. La machine n’est qu’une conséquence, un outil, ça n’est pas ça qui est le plus important [ou le point de départ]. Quand tu commences par te dire “je vais faire avec ce que j’ai”, ça génère plein de choses humainement intéressantes : ça génère de la compétence, des questionnements… La façon de travailler va avec, tu pourras pas être sur de la grosse mécanique car elle serait inadaptable.

Le recours à la mécanisation oblige à avoir recours à des matériaux standardisés et c’est ça que tu essaies à tout prix d’éviter ?
Tout à fait. C’est vrai dans tous les secteurs, l’industrialisation va de pair avec une matière constante. Ça n’est pas adaptable, tu n’adaptes pas un modèle super efficace à une ressource variable.
Pour certaines machines, c’est lié à l’échelle de chantier. Si une machine peut permettre d’économiser des efforts en obtenant le même résultat, pourquoi pas. A choisir entre un tournevis et une visseuse, je prends la visseuse, sauf si c’est une vis peu accessible et que je suis obligé d’utiliser le tournevis. Il y a tellement de cas dans lesquels la machine ne marche pas que je ne vais pas essayer de l’enlever quand elle peut rendre service.
Au-delà de la question des bilans environnementaux, il y a aussi [la question du confort] : les machines font mal. Comme je travaille souvent avec des personnes qui ne sont pas dans le milieu du bâtiment à la base, qui sont potentiellement plus sensibles, j’y suis d’autant plus attentif… Si tu mets un malaxeur à deux pales dans un mélange un peu dur, tu as le dos démonté. Si tu mélanges avec les pieds, tu as le même rendement, tu te fatigues mais tu te fais moins mal. Je trouve ça intéressant comme regard sur la machine. Les outils n’ont pas tous la même ergonomie, il y en a qui sont tellement puissants que ça fait des chocs dans les corps ou qu’il faut les retenir… Je n’ai pas trop de chiffres là-dessus, c’est plutôt un ressenti. Quand je vois tous les maçons qui sont cassés, je ne pense pas qu’ils soient cassés d’avoir fait des pelletées, ils sont cassés d’avoir fait des efforts violents.

On a rencontré l’association Terre en Bretagne et on a trouvé leur démarche intéressante. Ils et elles travaillent sur un périmètre restreint, dans quelques villages au nord de Rennes, et produisent des matériaux, des adobes. Si tu travaillais par là-bas, tu trouverais intéressant de t’y fournir ou pas du tout ?
Si tu as déjà fait des adobes sur un chantier, tu vois la galère que c’est et tu comprends pourquoi on a fait des briqueteries. L’association Terre peut avoir du sens car elle est sur une échelle locale, avec de la terre de récup et pas de la terre de carrière. C’est une autre façon d’utiliser de la terre de récup et ça va aider d’avoir un espace de production, surtout pour les adobes car tu as besoin d’une zone de séchage.
Par contre, quand tu vois BTC Concept dans le sud-ouest, qui essaie de grossir et d'inonder le marché, ça n’a aucun sens. C’est une autre logique, capitaliste, qui veut rentabiliser un outil de production, et ça devient débile. La mécanisation pose la question de la rentabilité et de l’échelle de l’outil de production. Quand tu paies aujourd’hui un.e artisan.e, il y a une grosse partie qui finance ses outils. Mais moi je vends un savoir-faire et de la force de travail, pas des outils et du matériel…

On se questionne sur des manières de valoriser l’intensité sociale, et notamment sur d'éventuelles manières quantitatives de le faire…

Pour les clients potentiels, je leur explique rapidement et, si ça les intéresse pas, ils vont voir quelqu’un d’autre. On n’est pas nombreux.ses à travailler comme ça et ce sont des arguments qui portent aujourd’hui. Donc je ne me prends pas la tête, si ça ne parle pas aux clients, en général on se rend vite compte qu’on n’est pas sur la même longueur d’onde et on ne fait pas de chantier ensemble.

Pour la question de la valorisation quantitative, j’ai fait ce genre de calculs il y a une vingtaine d’années, pour des projets de développement payés par le contribuable, il fallait justifier comment on dépensait l’argent. Mais je ne suis plus là-dessus. Vous connaissez Loris Verron, qui a fait une thèse ? [Identification des critères de convenance pour la valorisation des terres de déblais dans la construction, Loris Verron, 2020] Un des enjeux de sa thèse, c’est justement d’essayer de chiffrer les questions de mécanisation. Si on essaie d'avoir des argumentaires pour se justifier, dans une économie de marché qui s’écroule et en laquelle on ne croit pas… Je suis capable de faire des calculs pour dire où part l’argent - dans la main d'œuvre, les matériaux, les outils, les transports - mais souvent je n'ai pas envie de rentrer dans ce modèle… S'il y a besoin de chiffres, je mets des chiffres. C’est l’avantage d’être ingénieur, des fois ça calme les gens, ils sont contents. Mais cette approche chiffrée interroge, il y a des logiques qui ne devraient pas avoir besoin d’être chiffrées pour être comprises - le fait d’utiliser les ressources locales, par exemple.
Les argumentaires sur l’intensité sociale sont faciles, ce ne sont pas des trucs très complexes, tu vois vite où partent les sous…

Donc tu penses assez inutile d’envisager ou de pousser à ce que les fiches FDES [fiche de déclaration environnementale et sanitaire], par exemple, prennent plus en compte ces questions d’intensité sociale ?
La FDES c’est hyper simple : tu prends n'importe quel produit de construction et tu regardes tous les impacts de sa production. Sur des objets complexes, c’est infini, donc forcément tu fais des choix - des choix de précision, de prendre quelque chose en compte ou pas… Plus tu as de temps pour faire ces choix, plus tu as la main sur tes données, tu sais où agir pour que le résultat soit bon, mais il faut des moyens pour ça. Si tu fais ça honnêtement, ça ne marche pas. Enfin, ça n’est pas que les ingénieurs soient malhonnêtes mais leur objectif est de sortir la meilleure valeur… Donc ils calculent la meilleure valeur.
Le débat est plutôt : est-ce qu’on cautionne les fiches FDES ou pas ? Il y a eu des débats à propos des FDES au sein des terreux [maçon.nes terre crue]. Les FDES sont déclaratives, elles sont donc au service de ceux qui paient. Soit cet outil va nous desservir, car on n’aura jamais autant de moyens que les autres [lobbies du BTP] pour se payer de belles FDES, soit on choisit de se mettre dans la logique des FDES. Dans ce cas, je choisirais pour faire la FDES un chantier où on a tout fait à la main, sans transport, où il y a zéro impact… A partir du moment où tu rentres dans un chiffrage qui essaie de prendre en compte plein de choses, tu te fais avoir. À la fin, ils [les bétonneurs par exemple] auront un meilleur chiffre que toi alors que tu utilises un meilleur matériau.

Ou alors on instaure un rapport de force en disant qu’on a raison de défendre ce qu’on défend, pour des raisons humaines et parce que le système économique actuel est défaillant. Ce sont des questions de fond, en fait. Je n’ai pas envie de croître, je n'ai pas envie de rentrer dans le modèle capitaliste. Du coup, au bout d'un moment, il faut dire : “nous, on fait autre chose et on représente suffisamment de personnes pour instaurer un rapport de force”. Je trouve ça plus intéressant que d'affiner des modèles de FDES ou d'autres normes pour essayer de rentrer dans les outils et cadres qu’ils ont, eux, mis en place. Mais bon ça c'est du débat, on n'est pas tous d'accord.
Tu vois vraiment la FDES inclure des indicateurs sociaux ? Pourquoi pas, mais… Il y a 20 ans, quand on commençait à parler un peu d'environnement, je suis tombé sur un classeur, je ne sais plus quelle entreprise c'était, peut-être Lafarge, et il y avait un argumentaire de défense du parpaing et du béton qui était hallucinant, hyper loquace, c’était du savoir-faire, de l’embauche, c'était très propre. Lutter contre ça, c'est mettre beaucoup d'énergie contre, plutôt que de mettre de l'énergie sur des chantiers qui sont chouettes et de leur montrer ce qu'on est capables de faire. Il y a de beaux chantiers, comme ce qui se passe sur les chantiers qu’on fait avec De la matière à l’ouvrage, les gens se disent que c'est bien ce qu’on a fait, que ça a fait bosser tant de personnes. Ça fait rêver, ça fait envie, et je trouve que ça avance plus comme ça.
Sur le fond, c'est comme des labels du type AB [agriculture biologique]. J’ai eu de grandes discussions avec mon père, qui est viticulteur et qui m’a dit que seuls les industriels ont à y gagner avec un label comme ça. Comme ils ont beaucoup plus de moyens que nous, ils sont beaucoup mieux armés pour réussir à optimiser ces critères. Du coup j’ai l’impression que ça ne sert à rien de se lancer là-dedans.

Ces questions de norme, de FDES, ça nous prend la tête, parce qu’on aime bien faire nos trucs dans notre coin et qu’on comprend, nous, pourquoi on le fait. Mais on se demande comment certaines démarches peuvent prendre de l'ampleur, comment elles peuvent faire le poids face à toutes les choses contre lesquelles on se bat…
Je pense qu’il faut proposer des alternatives et montrer que ça peut être fait. Montrer des exemples. Plus ça va, plus il y a d'exemples.
Pour revenir aux FDES, moi, je bosse dessus depuis les années 90, et c’est important de savoir comment ça fonctionne. Il faut que quelques personnes sachent comment ça marche pour ne pas se faire berner. Mais quand tu sais comment ça marche, tu es de moins en moins naïf. Et, si tu rentres dans ce processus-là, il faut y rentrer politiquement. Ce que je reproche aux ingénieurs qui font des normes, c'est qu'ils n’ont aucune vision d’où ça va, ils ne comprennent pas comment ça marche. Ils sont très bons sur les chiffres mais en fait ça n'est pas que du chiffrage, ça n’est pas que de l'ingénierie, c'est de la politique. Il faut être armé politiquement pour se confronter à ces questions, et pas seulement être une calculatrice.

Sur les questions de normes, on se heurte quand même à des difficultés pour arriver à faire des sauts d’échelle. L'association Terre a par exemple répondu à un appel à projet avec des architectes pour faire un gros bâtiment et ils se retrouvent bloqués. Il leur faudrait je ne sais plus combien de milliers de briques, mais ils et elles piochent des terres à droite à gauche, sur des chantiers de démolition, et ça deviendrait très compliqué économiquement d’avoir des tests pour chaque terre. Je trouve qu’il y a quand même certains cas dans lesquels ce serait bien que la production d'adobes avec une certaine intensité sociale puisse être mise sur des chantiers un peu plus gros que des chantiers de particuliers… Comment faire ?
Ça n’est pas si compliqué. Il y a deux choses différentes : la qualité et le cadre normatif. Pour la qualité, quand tu produis un élément d'ouvrage, le premier truc important est le programme. Par exemple, si tu es sur un des murs non porteurs, tu n’as généralement pas besoin de la résistance à la compression. Tu vas peut-être avoir besoin d'une résistance à l'abrasion parce qu'il y a des gamins qui peuvent frotter les murs. S’il s’agit d’un mur porteur pour du R+1 [bâtiment avec un étage], tu dois avoir une résistance à la compression. Donc, quand tu définis ton besoin (mais ça, les bureaux de contrôle et les bureaux d'études ne le font pas), en fonction de chaque caractéristique, tu as besoin de savoir la valeur de référence de ton élément ainsi que la variabilité. Ça n'est pas très compliqué de mettre en place un contrôle qualité pour tester une brique de temps en temps et vérifier ça. En fait, c'est tout un processus de mise en place de contrôle qualité sur chantier. Ce sont des choses qui sont très bien faites dans l'industrie, où on sait garantir la constance d'un produit, on est formés au contrôle qualité quand on gère une production. Dans le bâtiment, on n'est pas formés à ça. Les gens ne savent pas comment marche la mise en place d'une démarche qualité ou d’un contrôle qualité. On a l’habitude d'acheter des produits avec un mode d'emploi, et, dans ce cas, la démarche qualité a été faite en amont. C’est-à-dire que, quand tu achètes un parpaing, l'usine l’a caractérisée. Il faudrait donc que l’association Terre, par exemple, acquière les compétences qui permettent de faire un contrôle qualité.
Les normes qui sont actuellement mises en place pour les briques, par exemple, c’est ça qui va donner les impositions et dire de tout tester : testez tout à la compression, testez tout au gel-dégel. Mais si tu fais une cloison intérieure, pourquoi s'embêter avec le gel-dégel ? Il ne va jamais geler. Ce qu'il faut avoir en tête sur les cadres normatifs, c'est qu’ils sont mis en place par les assureurs pour des histoires de responsabilité. Pour couvrir un bâtiment, un assureur veut savoir les risques financiers qu'il prend. Il s'adosse sur les textes normatifs. Nous, ce qu'on a prôné pendant des années (on est en train de lâcher l’affaire mais je pense que, sur le fond, on avait raison), c’est de rester sur des relations de personne à personne, qui permettent de mettre en place une démarche qualité, un mode de production de ton chantier… C’est une relation de confiance avec ton assureur qui fait qu'il va te suivre. Petit à petit, il sait ce que tu fais et toi tu mets en place des solutions qui font que ça marche.
Un des trucs qui est chouette dans le bâtiment, c’est qu’il n’y ait pas deux bâtiments pareils. Il s’agit d’avoir une grosse diversité dans ce qui est produit et, avec ça, des responsabilités humaines. L'idée, par rapport aux assurances, c'est de garder ça et de ne pas consigner dans un texte tout ce qui fait que tu es couvrable. Mais on ne va pas se lancer là-dedans, ça n'a pas de sens. Si tu n'as pas d'expérience, ça n’est pas en lisant un bouquin que tu vas faire un bâtiment qui tient debout. L’enjeu du processus normatif est d’essayer de voir ce qu’on met en place pour que les bâtiments soient couvrables mais sans passer par un mode de production de la norme qui va générer une dé-responsabilisation sur le chantier.
Concernant l'association Terre, par exemple, s’ils arrivent à discuter avec le bureau de contrôle du projet de quels éléments les rassureraient, et à mettre en place un contrôle qualité pour être sûrs qu’ils répondent aux besoins chantier, il y aurait un rapport direct qui se mettrait en place et qui ne serait pas très lourd ni très coûteux.. Sauf si c’est un projet vraiment compliqué, mais à ce moment-là, ça se facture. Sur le bâtiment à Confluence tu vois, avec de grands arcs, il y a de grosses descentes de charge, du coup il y a eu un contrôle qualité un peu sévère qui a été mis en place, mais ça se comprend, c’est compliqué techniquement, donc c’est cher.
Des briques porteuses sur R+2, qui supportent une grosse contrainte, qui ont été contrôlées, tu ne vas pas forcément les vendre au même prix que des briques qui n’ont pas d'exigence spécifique, pour des cloisons par exemple, même si c'est les mêmes briques. Mais si le contrôle est standard, le même pour tout le monde, il faudrait toutes les contrôler comme si elles allaient être porteuses… Il faut intégrer cette question du contrôle dans la production du bâti.

Et concernant le contrôle qualité, qu’est-ce qui se négocie avec le bureau de contrôle, ou avec les assurances ?
C'est un mélange entre le bureau de contrôle et l'assureur, il faut voir ce qu'ils sont prêts à accepter ou pas. Ce dont je me suis rendu compte récemment, qui ne nous aide pas du tout, c'est que les assureurs (comme plein de types d'organisations, de commerces ou d’administrations) ont grossi et que les antennes locales ont de moins en moins de capacités d'action et de responsabilités. Elles ont des directives d’en haut et, plus ça va, moins tu peux négocier les choses et être sur une relation humaine ou située. Ils ont de moins en moins les mains libres pour faire un contrat adapté. Du coup, aujourd'hui, ce qu'on a tendance à faire avec De la matière à l’ouvrage, c'est de chercher des tout petits assureurs qui n’aient pas une grosse structure au-dessus d’eux qui les empêche de prendre la moindre décision. Le fait que la personne en face de toi n’a aucun pouvoir de décision est un des gros freins à l’assurance. Et celui qui décide, du coup, prend des directives qui sont censées être valables partout pour tout le monde. Ces logiques d'optimisation, de grossissement, où on essaie de nous faire rentrer dans des cadres, c’est maladif. Et ça se généralise de partout, soit disant pour des optimisations économiques… On est donc en train de chercher un petit assureur… Il en reste.

Pour finir, est-ce qu’il y a un projet dont tu voudrais nous parler ?
Je trouve vachement bien ce qu'on a essayé de faire sur un projet avec Loïc Daubas et Corentin Mouraud à Guérande : mettre en place une zone avec l'outil de production et trouver un système de fonctionnement. On voit ça dans plein d’autres domaines, la mutualisation d’outils bois, des ateliers de mécanique automobile… L’idée de La Fabrique, c’était de mettre en place un outil de production sur place, avant les chantiers d’une grosse ZAC, dans laquelle tous les projets sont faits avec la terre du site. On voulait que les artisan.es, sur l'ensemble des chantiers, puissent avoir cet outil à portée de main et qu’ils et elles puissent s’en servir pour préparer la terre, la malaxer avec des gros malaxeurs pour faire de la terre à bauge, faire des adobes, éventuellement faire du torchis prêt à l’emploi.... Et mettre tous ces outils qui pourraient être intéressants à côté des chantiers, dans un espace couvert, avec de la bauge porteuse sur 2 niveaux, qui serve un peu d’exemple en même temps. L'idée était de transformer cet espace en logement après les chantiers, pour le rentabiliser.
Sauf que La Fabrique risque de ne pas voir le jour avant la fin des chantiers, c’est le bazar, c’est dommage. L’aménageur qui est censé payer ne sort pas les sous, on ne sait pas bien pourquoi.